La culture du viol au Maroc

Le 24 février, la cour d’Assises de Paris, a condamné Saad Lamjarred, une popstar marocaine, à six ans de prison pour viol aggravé. Symbole d’une victoire pour certains, injustice pour d’autres, cette affaire relance le débat sur la culture du viol au Maroc.

Un violeur disculpé ! Clamant haut et fort son innocence, les fans du chanteur marocain Saad Lamjarred, se sont enflammés sur twitter. Ils ont soutenu qu’ “ une femme respectable ne se retrouve pas seule dans la chambre d’hôtel d’un inconnu”, que la demanderesse “Laura est une menteuse”, que “ Saad est aujourd’hui un homme marié” et qu’au fond ce qui l'intéresse c’est uniquement à “ faire le buzz et profiter de la notoriété du chanteur”. En dépit de sa condamnation, une partie de la population estime que le jugement est injustifié. Mais la question se pose : est-ce qu’au Maroc une femme peut réellement prétendre être victime de viol ? Comment cet acte peut-il être justifié ?

Hchouma, hram, aib ! Ces trois mots qui signifient la honte et l’interdit en langue arabe sont ceux qui rythment la vie d’une Marocaine. La pression sociale est telle, que les femmes préfèrent l’omerta à l’humiliation. Bien que le viol soit considéré comme un crime au Maroc, rares sont celles qui osent porter plainte. Risquant d'être stigmatisées, blâmées ou même rejetées par leur famille et leur communauté, elles préfèrent souvent se taire. Selon un rapport de l’ONU Femmes en 2020 “57 % des femmes marocaines disent avoir subi au moins un acte de violence au cours des 12 mois précédents”. Cependant, “ seulement 10,5 % des victimes ont signalé l’agression aux autorités”.

Une juridiction en faveur de la culture du viol

Yasmina Benslimane, militante féministe marocaine fondatrice du blog Politcs4her , affirme que cette inaction des femmes résulte “d'un système judiciaire patriarcal qui a été établi par les hommes et pour les hommes”. Elle tire la sonnette d’alarme face aux limites qu’impose cette loi : “ la femme marocaine ne peut pas évoluer et s’épanouir dans un environnement où on refuse de la croire.” Selon elle, “cette loi ne permet ni à la victime de dénoncer son agresseur, ni de bénéficier de l’aide dont elle a réellement besoin”. En effet, avec les articles 490 et 491 du code pénal, les relations hors mariage sont considérées comme un crime. Par conséquent, lorsqu’une femme n’est pas en mesure de prouver qu’elle a été violée, elle risque également d’être poursuivie pour avoir eu des relations sexuelles hors mariage.

La militante marocaine lance un appel “ pour moi la révolution doit se faire par la jeunesse. Elle affirme que “les réseaux sociaux sont un outil puissant qu’il ne faut pas sous-estimer. On se rappelle tous de l’indignation générale suite au décès d'Amina Al Filali. Cette jeune fille, qui a seulement 16 ans, a été obligée d’épouser son violeur. Après son suicide, les mouvements féministes marocains et internationaux ont fait pression sur le gouvernement marocain. Deux ans après, l’article 475 a été abrogé par le Parlement “. Jusqu’en 2014, l’article 475 du code pénal permettait à un violeur d’échapper à la justice en épousant sa victime. Si cette loi a été maintenue pendant des années, c’est en partie en raison de la société marocaine qui prétend préserver l’honneur de la fille violée. Pour de nombreuses familles, il est préférable de marier la victime plutôt que d’avoir une fille enceinte qui n’est plus vierge, cela relève du“ slut shaming” (humiliation des salopes).

Le slut shaming et la culture du viol sont deux phénomènes étroitement liés. Ils ont pour effet de stigmatiser et de marginaliser les victimes. Au Maroc, elles sont confrontées à de nombreux obstacles lorsqu'elles portent plainte. Le déni de responsabilité des agresseurs, la minimisation de l’impact sur les victimes ou des violences sexuelles sont autant de freins aux dénonciations. Plusieurs d’entre elles rapportent d’ailleurs que les policiers eux-mêmes ont tendance à les juger et à leur demander des détails sur la manière dont elles ont "permis" l'agression.

Au Maroc, la parole se libère peu à peu

Face à la culture du viol, les réseaux sociaux, jouent un rôle clé dans la mobilisation de la population. Selon Yasmina Benslimane “ hormis en complément d’une réforme législative, et un travail d’éducation,les réseaux sociaux sont un excellent moyen pour changer les mentalités”. Grâce à des campagnes de sensibilisation telles que #Masaktach, #NousToutes et #Nohchouma, le silence autour des violences sexuelles est rompu, encourageant ainsi les femmes à partager leurs expériences. En mettant en lumière les violences sexuelles qui persistent dans la société, le mouvement #MeToo a un ainsi un impact significatif au Maroc.

Si des Marocaines ont choisi de briser le silence et de libérer leur parole en médiatisant leurs témoignages liés aux viols et aux agressions sexuelles, il ne demeure pas moins que cette lutte sera semée d'embûches. Au quotidien, les militantes féministes marocaines doivent faire face à des pressions, des menaces et des intimidations de la part de groupes conservateurs. Si une première bataille a été gagnée, elles sont loin d'avoir gagné la guerre.

Salma Laalj


*Qu’est-ce que la culture du viol ? Née en 1970 dans l’argo féministe américain, la culture du viol est un concept sociologique qui tend à banaliser, minimiser voire encourager le viol. En effet, selon plusieurs croyances populaires, les violences conjugales, le viol ou encore l’inceste constituent des faits rares.*


A propos de l’auteure :

À 23 ans, la juriste Salma Laalj, affiche déjà un beau parcours. DESU d’éthique, master de droit, service civique, et  bénévole le quotidien de Salma est guidé par sa détermination d’aider les autres. Elle a fait ses premiers pas dans la ville de Rabat où elle a grandi et poursuivi ses études au sein du Lycée Descartes de Rabat. Après son baccalauréat économique et social, elle décide de s’envoler pour la France pour poursuivre ses études. Elle a décidé de poser ses valises dans la ville d’Aix-en-Provence. Aujourd’hui, Salma est étudiante au Magistère Droit, Journalisme et Communication. Passionnée par l'écriture et animée par la vie politique, la jeune marocaine écrit régulièrement sur des sujets qui la touchent et est déterminée à devenir actrice d'un monde meilleur.

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